Qu’est ce que la « mise en espace » : la projection d’une source sonore dans une zone particulière de l’espace de diffusion ? Mais cet espace est-il le même que celui de l’espace d’écoute ?
Quelles que soient les pratiques (interprétation - écriture - improvisation), un intérêt particulier devrait être porté sur la mise en adéquation entre le propos et son mode d’occupation de l’espace. Une décomposition de l’espace de composition en zones/modes de jeu de diffusion, qui font sens selon le propos. En extrapolant, on peut proposer d’identifier et de personnaliser ces zones dans la récurrence des procédés utilisés. Au-delà du sens, nous en venons à parler de symbolique. Ce rapprochement espace/écriture doit tenir compte et explorer les questionnements d’un point de vue sensible. Quelle efficacité pour l’auditeur ? Quelle perception ?
Dans un contexte de création en studio, nous nous intéressons à écrire, donc fixer une composition, POUR un dispositif de diffusion / projection sonore. Étape qui diffère lorsque l’on travaille à écrire AVEC un espace (exploration du lieu), pour lequel il s’agit de révéler les paramètres qui poussent/guident vers une fabrication « in situ » d’un mode d’occupation de l’espace. Nous pouvons imaginer associer ces deux démarches : écrire et jouer d’un espace. Dans un cas, nous avons composition en studio par et pour un dispositif unique de diffusion, et dans l’autre il s’agit d’imaginer une proposition singulière (captation, diffusion) en lien avec un lieu particulier.
Benjamin Maumus - musicien et ingénieur du son.
Création, réalisation et régie son au GMEA, CNCM d’Albi-Tarn.
Les techniques de reproduction en multiphonie permettent d’envisager de retranscrire un univers sonore « a posteriori », de créer un « simulacre acoustique ». Nous parlons plus précisément de représentation ou de transposition. Cette pratique soulève des questions complexes de perception, puisqu’il s’agit de faire exister une imagerie du réel sonore dans un autre lieu. La complexité au niveau perceptif, la densité d’informations stockées rend parfois difficiles l’interprétation et l’exploitation de ces données. La perception d’une source sonore est directement liée à son mode de diffusion dans un espace donné. On parle d’empreinte d’une salle, qui correspondrait en pratique au prolongement d’un son au sein d’un espace. Si l’on se penche un peu sur cette matière sonore, nous nous intéressons à percevoir et à décrire l’ensemble des événements (le contenu) de cette photographie du sonore (son réaliste). L’espace est occupé par nombre d’éléments qui dessinent DE FAIT une composition (au sens d’occupation de l’espace), ce qui ne va pas sans poser de lourdes questions sur les principes d’écriture avec cette matière.
La « polyphonie d’espaces »
Nous pouvons dès maintenant nous poser la question de l’effet (et de l’intérêt) au niveau perceptif de la superposition de plusieurs espaces sonores distincts. Cette problématique, que l’on peut nommer « discontinuité spatiale », déjà très présente dans l’écriture stéréophonique, est encore plus cruciale dès qu’il s’agit d’écriture spatiale en multicanal. Lors de l’enchaînement brutal, ou de la superposition, de deux espaces sonores indépendants présentant des caractéristiques acoustiques différentes, il semble que nous ressentions une sorte de désorientation auditive, assez gênante parfois, puisque notre perception est brouillée par des informations qui peuvent être contradictoires. Mais en utilisant subtilement le procédé, nous pouvons jouer de ce flou spatial pour glisser vers des univers volontairement non naturels ou « non logiques ». Ainsi, nous construisons par superposition et juxtaposition une véritable « polyphonie d’espaces ».
Héritier direct des recherches menées depuis plus d’un demi siècle sur les techniques de prise de son stéréophonique (capsules dissociées, localisation par différences de temps et d’intensité), cet outil en reprend les caractéristiques essentielles en augmentant cette relation à un ensemble de six microphones identiques montés sur un support dessinant un hexagone régulier (appelé "étoile"). Cette technique est essentiellement fondée sur l’équivalence entre l’angle physique et l’angle utile de prise de son. Chaque segment de l’étoile est assimilable à une paire de micros qui se juxtapose parfaitement (coïncide sans aucune redondance) avec la paire voisine. Ainsi sont évités les phénomènes de chevauchement, ou au contraire d’étirement, dans la répartition spatiale des informations et événements composant la scène sonore. L’espace est donc scindé en six fractions liées entre elles par un point de diffusion. Cette technique privilégie donc une sensation d’homogénéité et d’enveloppement, ainsi qu’une précision acceptable concernant la localisation des sources.
L’hexaphonie est directement compatible avec le nouveau format multicanal qui semble s’imposer dans le monde de l’édition : le 7.1. Cette transition ne nécessite donc aucun matriçage, aucune réduction, et permet donc de préserver l’information sonore telle qu’elle a été enregistrée en multiphonie (même configuration spatiale de haut-parleurs). L’utilisation de codecs audio tels que le Dolby True HD ou le DTSHD Master Audio garantit une qualité sonore intacte, puisqu’il s‘agit de compression de données sans perte. Le canal central offre aussi de nouvelles perspectives : par exemple ajout d’une voix, ou un soliste. Il est à noter que l’utilisation de l’hexaphonie rend possible et immédiate une réduction vers une écoute en stéréo. En effet, le système a été conçu pour que le couple qui fait « front » à la scène sonore puisse être utilisé de manière autonome.